Si Loin Si Proche, un festival qui touche en plein cœur

Entre le 24 et le 28 janvier 2024 se tenait la 3ème édition du Festival Si Loin Si Proche. Un festival créé par l’association du Mékong à la Marne, et hébergé par La Ferme Du Buisson - scène nationale, cinéma et centre d’art contemporain. Ce festival permet de mettre en valeur les cinématographies cambodgienne, laotienne et vietnamienne. Une mise en visibilité importante, non seulement de ces cultures, mais aussi des diasporas, participant ainsi à créer une mémoire de ces communautés pour les générations futures.  

À l’occasion de ce festival, notre association a été invitée à tenir une table ronde. Le thème ? Décentrer le regard : représentation des femmes et des minorités de genres asiatiques. Cet échange a réuni trois des femmes motrices du projet Asidentités : Boulomsouk, Sonadie et Thu-An. 

La team Slash Asian était donc sur place le 28 janvier pour parler de cette table ronde, mais aussi pour assister à quelques projections. On vous propose une petite rétrospective de nos moments préférés, c’est par ici !



Le lieu 

Stands de restauration La Ferme du Buisson - Photo de Nine Gellé

Le chaleureux coin restauration du chapiteau - photo de Nine Gellé

Pour celleux qui ne connaissent pas La Ferme du Buisson, c’est un lieu bucolique niché en plein cœur de Noisiel - pour les parisien·e·s et banlieusard·e·s en dehors du 77, ça paraît loin dit comme ça, mais en 20 minutes de RER A depuis Nation, on y est. Pour les personnes ne vivant pas en Île-de-France, on espère que vous aurez un jour l’occasion de voir le festival. 

Nous avons adoré le lieu qui possède deux salles de cinéma, et un grand chapiteau dans lequel étaient hébergés, pour l’occasion, des stands de gastronomie asiatique mais aussi des stands d’artisans et de livres. L’une de nous est repartie avec un roman graphique coup de cœur (Un Orage par Jour d’André Derainne), tandis que d’autres ont pu mettre la main sur les superbes illustrations et tee-shirts de Banh Mi Media, qui donnent bien faim d’ailleurs. 

 

Des films, des courts-métrages coups de cœur…

Puisqu’il s’agit avant tout d’un évènement cinématographique, on a souhaité vous parler de nos projections favorites : 

La Forêt de Madmoiselle Tang

La forêt de Mademoiselle Tang - France - Denis Do - 2023 - Animation

Réalisé en 2022, il s’agit d’un moyen-métrage de 40 minutes réalisé par Denis Do (réalisateur de Funan). Retraçant 150 ans d’histoire, le film revient sur des bouleversements clés de l’histoire de la Chine, à travers le regard des membres de la famille Tang. À chaque fois, cette question lancinante : faut-il partir ou rester ? 

Ce film, entièrement doublé en langue teochew, marque la volonté de Denis Do d’inscrire dans le marbre cette partie de son identité et de faire perdurer cette langue, aujourd’hui en souffrance, dans les mémoires. Nous avons adoré ce film pour son traitement très touchant et sans fausse note des questions autour de l’héritage et de la transmission. Étendre ce thème à plusieurs générations d’une même famille permet de refléter avec finesse la complexité derrière ces questions. Avec une animation toujours très soignée et d’une grande douceur, Denis Do nous plonge dans une chronique sobre, mais émouvante. Il nous permet de mieux saisir les enjeux de l’immigration à ces époques, et les questionnements qui ont traversé l’esprit de nos ancêtres. 

Lotus Sports Club

Lotus Sports Club - Pays-Bas, Cambodge - Tommaso Colognese & Vanna Hem - 2022 - Documentaire - Première française

Lotus Sport Club suit sur 5 ans le parcours à Kampong Chhnang (Cambodge)  de Leak et Amas au sein de l’équipe féminine de football de la ville dont le coach est Pa Vann. La particularité ? Il s’agit d’un club LGBTQ+. Pa Vann n’est pas un simple entraîneur, lui-même transgenre, il fait office de figure paternelle pour ses protégé·e·s souvent discriminé·e·s et rejeté·e·s. 

Nous avons apprécié ce documentaire qui nous plonge dans l’intimité de ces jeunes et de Pa Vann, sans jamais être dans la surenchère ou le pathos. Ils nous y parlent de leurs peurs, leurs aspirations mais aussi des obstacles qu’ils rencontrent pour s’épanouir. Au cœur de ce film, il y a surtout le sport comme moyen d’émancipation. Pa Vann l’exprime très bien, il souhaite que ses protégé·e·s prennent confiance en elleux, s’endurcissent et soient fier·e·s d’être ce qu’iels sont. D’ailleurs, c’est bien la première fois que nous nous sommes autant senties investies en regardant des extraits d’un match de foot dans lequel jouait le club ! Coup de cœur pour Leak, l’un·e des jeunes du club : lumineux dans son humanité et son authenticité. On est à la fois attendri·e par le regard encore enfantin qu’il pose sur le monde, mais aussi impressionné·e par sa maturité précoce.

Sound from the Kitchen

Sound from the Kitchen - Laos - Lee Phongsavanh - 2023 - Première française

Réalisé par Lee Phongsavanh (réalisateur du film d’horreur The Signal), ce court-métrage laotien suit trois adolescents s’affairant en cuisine pour se cuisiner à déjeuner. Le repas tombe cependant très vite aux oubliettes quand ils remarquent les sons intéressants que produisent les ustensiles et les ingrédients. 

Nous avons bien aimé celui-ci pour son côté inattendu. Nous partons d’un groupe de jeunes correspondant au cliché de l’adolscent ingrat attendant d’être servi à table, à un groupe de jeunes, livrés à eux-mêmes en cuisine, et qui improvisent une session musicale avec ce qui les entoure. Amusant et décalé, Lee Phongsavanh joue habilement avec des gros plans sur les objets et le visage des acteur·rice·s, le son habilement mixé provoque un effet ASMR (Autonomous Sensory Meridian Response - désigne l’effet apaisant et bienfaisant de certains sons, visuels ou sensations corporelles).  

Boat People

Boat People -  Canada - Thao Lam & Kjell Boersma - 2023 - Animation

Ce court-métrage d’animation suit le parcours de Thao et sa famille. Enfant, la mère de la petite fille sauvait les fourmis des bols d’eau sucrée. Bien des années plus tard, ces dernières rendent la pareille et guident la famille en sécurité. Une métaphore poignante pour raconter la fuite de cette famille désespérée. 

Boat People raconte de manière très touchante les épreuves traversées par les migrants. Quand bien même l’histoire se situe au Vietnam, les émotions dépeintes font écho à d’autres histoires, à d’autres fuites, à d’autres souffrances. L’insouciance de la petite fille tout au long du film se mue en questionnements au fur et à mesure qu’elle grandit. Une évolution intéressante à observer. Les enfants d’immigrés qui se sont posé les mêmes questions sur l’histoire de leurs parents, et les raisons d’une telle fuite, s’y retrouveront sûrement. L’histoire de cette famille incarne celle de tant d’autres. Un film à la portée universelle.  


Love, Dad

Love, Dad - République Tchèque - Diana Cam Van Nguyen - 2021 - Documentaire, animation

Le film suit l’histoire de la réalisatrice. Elle retrouve dans une boîte les lettres que lui a adressées son père, bien des années auparavant, durant son incarcération. Désireuse de renouer avec son père et de se confronter au passé familial, elle décide alors de lui écrire à son tour.

Ce court-métrage a la particularité d’utiliser beaucoup de stop motion, ce qui apporte une touche particulière avec un mélange d’images réelles et de papiers découpés. Cette esthétique incarne bien l’idée d’une histoire à trous, avec des parties manquantes, des questions sans réponses. On assiste au délaissement progressif d’un père vis-à-vis de sa famille, car il n’a pas pu avoir de garçon avec sa femme, un récit poignant. La réalisatrice, qui maintenait pourtant une certaine complicité avec son père à travers leur correspondance épistolaire, montre comment elle a été mise à distance à partir du moment où il a refait sa vie avec quelqu’un d’autre et eu un fils, comme il le souhaitait. Le film dépeint l’impossibilité de communiquer, de donner des raisons derrière ses choix et la violence ressentie derrière le silence du père. Le désarroi de l’enfant face à l’absence de réponse ne manquera pas d’émouvoir.

In the shadows

In the shadows - Laos - Xam Keodongdy - 2020 - Documentaire 

In the shadows nous emmène dans les coulisses d’une troupe modeste de marionnettistes d’ombres chinoises au Laos. Cette troupe, composée d’artiste pour la plupart, crée les marionnettes avec lesquelles elle joue et chante, en compagnie de musiciens qui accompagnent ces performances.  Si leur activité ne leur permet pas de dégager beaucoup de profits, ces artistes se produisent inlassablement et y mettent toute leur âme. Parfois, aucun.e spectateur.ice ne se présente, à d’autres occasions, seuls les touristes composent le public.

Inquiétés par le déclin de l’intérêt porté à leur art, la troupe met en place des partenariats avec écoles pour éviter la disparition de leur savoir-faire. Ils font part de leur désir de trouver des successeur·e·s et de conquérir de nouveaux spectateurs auprès des jeunes générations. Ce récit touchant pose la question de la place de l’art lorsqu’il n’est pas lucratif. Qu’advient-il donc de la préservation et de la transmission de telles traditions culturelles ?

Ces artistes nous transportent dans leurs histoires. On est ému par leur passion et leur refus d'abandonner malgré les difficultés rencontrées. On est envoûté par la musique mais aussi par la grâce des personnages de papier, virevoltant derrière la toile. La magie du théâtre d’ombres chinoises opère et nous embarque avec elle.

Má Sài Gòn

Má Sài Gòn (Mère Saigon) - Canada, Vietnam -  Khoa Lê - 2023 - Documentaire

Le réalisateur nous offre une mosaïque de portraits intimes au sein de la communauté LGBTQIA+. Nous suivons cette jeune génération déterminée à vivre librement dans la bouillonnante Ho Chi Minh-Ville, aussi connue sous le nom de Saigon. 

Bien que ce documentaire ne retrace qu’une brève partie de leur existence, être plongé ainsi dans leur intimité permet de pleinement ressentir les défis traversés et l’ampleur de la situation. Ces récits sont multiples, polarisés, parfois croisés. Cette pluralité permet d’adopter un prisme relativement large pour représenter ces communautés. Khoa Lê nous montre la solidarité entre les personnes queer mais aussi leur vie de famille, leurs histoires d’amour et leur quotidien. On assiste à leur quête de l'amour, de la connexion, dans une ville où se mélangent tradition et modernité.

Má Sài Gòn pose la question légitime et primordiale de la représentation et de l’intégration de ces communautés au Vietnam. Film poétique et contemplatif, c’est une image de Saigon assez rare qui nous est montrée. 


Au cours de la journée, nous avons aussi eu l’occasion d’interroger quelques-unes des participantes au festival et d'échanger avec elles.  Thanh-Nhan (@tn_la_vraie), 30 ans, nous a ainsi parlé d’elle et de son parcours qui a commencé par un rejet de ses racines vietnamiennes : 

« Je voulais être conforme à ce que je pensais être normal, c’est-à-dire être française. C’est seulement vers 25 ans que j’ai commencé à me dire que j’avais assez “prouvé” que j’étais française. J’ai pu accueillir ma partie vietnamienne, et accepter ce bagage culturel qui n’est plus un poids aujourd’hui, mais une richesse. »
— Thanh-Nhan

Elle cherche aujourd’hui à redécouvrir et comprendre ce pan de son histoire personnelle qui lui a longtemps échappé, le festival Si Loin Si Proche lui a présenté cette occasion : 

Thanh-Nhan - photo de Nine Gellé

« Je n’ai pas eu énormément d’occasions de côtoyer ma communauté et m’immerger dans ma culture. Le documentaire Sans Famille [ndlr : projeté lors du festival - on suit un Cambodgien déraciné qui décide à l’âge adulte d’y retourner pour se réconcilier avec son passé] a mis en avant des situations que j’ai beaucoup connues sans pouvoir en parler… La difficulté de communication avec la famille, un passé un peu flou mais ne pas pouvoir lever le voile et cette difficulté à me rendre compte de ce qu’ont pu vivre mes parents. Toutes ces problématiques sont intéressantes à découvrir à travers un regard artistique. »
— Thanh-Nhan


Représenter les femmes et minorités de genres asiatiques

Ces réflexions rejoignent bien le sujet de notre table ronde, celle-ci a donné lieu à des échanges nourrissants suite à la projection du documentaire Asidentités.

« Asidentités permet aux personnes, qui ne sont pas familières avec les enjeux, de comprendre, mais cela touche aussi les personnes déjà sensibilisées parce que c’est parlant, véridique, synthétique. C’est super d’avoir un format audiovisuel portant notre voix !  »
— Thanh-Nhan
Intervenantes de la table ronde - photo de Nine Gellé

Intervenantes de la table ronde - photo de Nine Gellé

Au cours de ces échanges nous avons pu parler de l’impact des réseaux sociaux pour l’asioféminisme, la fétichisation des femmes asiatiques et son origine, mais aussi et surtout de l’importance de la représentation dans les milieux artistiques.  

Les intervenantes l’ont rappelé lors de la table ronde : l’asioféminisme a émergé en France grâce aux réseaux sociaux durant la crise du COVID19. Cependant, c’est une lutte qui ne date pas d’hier, et dont notre génération hérite, nous passons et continuerons à passer le flambeau aux générations futures. Daravie, française d’origine cambodgienne de la première génération de réfugié·e·s et travaillant à la mairie de Lognes, est l’une des participantes que nous avons interrogées. Elle nous a fait part de son avis sur ce sujet : 

« Vous ne menez pas le même combat que nous. C’est d’autres générations, d’autres combats. Vous avez cette intégration qui est à 90%, à part le physique qui est différent, sinon vous êtes complètement intégrés culturellement. Vous n’avez pas cette barrière de la langue comme nous avions nous, vous avez des combats moins compliqués que ceux qu’on a menés en tant que première génération de réfugiés. »
— Daravie

Elle souligne aussi l’intérêt qu’elle trouve à suivre la nouvelle génération qui poursuit le combat anti-raciste : 

« Ce que j’aime le plus, c’est ces tables rondes qui me permettent d’élargir mes connaissances sur la jeune génération qui arrive à percer à droite à gauche de par leur métier ! Et ça, c’est fou ! »
— Daravie

Pour que le combat se poursuive, il est impératif de continuer à s’impliquer et s’éduquer davantage en creusant ces sujets. Cela peut passer par la participation à des conférences, des tables rondes comme la nôtre et celles d’autres collectifs, mais aussi des ateliers. À titre d’exemple, il y a le nouveau cycle d’ateliers de Bissai Média qui revient sur : 

  • le rapport à nos identités et notre double culture ;

  • l’impact du traumatisme intergénérationnel ;

  • les manières d’exister et de s’exprimer ;

  • les outils pour se protéger des agressions dans le cercle privé.

Enfin, nous vous laissons avec cette réflexion de Sonadie sur la nécessité de continuer à représenter nos communautés : 

« Il faut que tous·tes les artistes franco-asiat s’expriment pour qu’on n’ait plus des questions ou des remarques telles que “ah, oui, c’est une histoire d’asiatiques”. Non ! Nous sommes français·e·s, nous avons grandi ici, nous avons vécu des choses et nous en vivons encore. Ces histoires doivent être racontées ! »
— Sonadie

Un grand merci à La Ferme du Buisson pour nous avoir conviées à cet évènement organisé avec Du Mékong à la Marne. Nous ne pouvons que chaudement recommander d’assister à ce festival.

Par Méline Keoxay - Team Slash Asian