Guide pour devenir témoin actif.ve
Rédigé par Isabelle (@banane_camembert)
Depuis le début de la pandémie, les agressions et insultes envers les personnes asiatiquetées ont augmenté en France et autres pays occidentaux. Il est possible que vous ayez déjà assisté à une agression sans savoir quoi faire. Beaucoup des agressions sont hélas vécues en plein jour, en présence de témoins qui ne réagissent pas.
Face à la passivité des gens et le désespoir, Joohee Bourgain a lancé un appel sur les réseaux sociaux en 2020 en postant une photo d’elle avec le hashtag #jenesuispasunvirus.
Linogravure de Isabelle Vea (@banane_camembert) en homage à Joohee Bourgain (@kimgun59)qui a créé le hashtag #jenesuispasunvirus au début de la pandémie.
Les agressions racistes et sexistes n’ont pas commencé au début de la pandémie mais sont bien des situations que beaucoup de membres des communautés asiatiques vivent au quotidien, en France et autres pays occidentaux.
Elles ont cependant continué à augmenter malgré les mouvements pour dénoncer cette haine injustifiée depuis le début de la pandémie (#jenesuispasunvirus et #stopasianhate). Les personnes asiatiquetées subissent aujourd’hui des agressions, insultes et moqueries liées au coronavirus, mais elles peuvent aussi être à caractère sexiste en plus de raciste. Récemment, deux membres de notre équipe ont subi une attaque violente verbale et physique de nature raciste et sexiste, alors que nous fêtions les un an de Sororasie en plein Belleville.
A ce moment-là, si des passants avaient été témoins de l’attaque, iels auraient pu empêcher l’attaque physique ou documenté l’attaque.
Pourquoi alors, la plupart des personnes qui assistent à une agression n’interviennent pas?
L’effet de témoin ou effet spectateur
Cette réaction de passivité des badauds a été théorisée par un phénomène que l’on appelle l’effet de témoin ou l’effet spectateur.
L’effet témoin explique pourquoi lorsqu’une agression se passe devant une foule de témoins, personne ne réagit pour aider la victime. Des biais racistes peuvent également s'immiscer dans la réactivité des passants.
Les conséquences de cet effet sont désastreuses pour les victimes d’attaques et en particulier celleux qui vivent des agressions liées à une oppression. Non seulement, elle conforte le maintien de ces agressions car supposément acceptées par les spectateurs, mais elle engendre également un sentiment d'impuissance face à la situation d’oppression et a des conséquences énormes sur la santé mentale des victimes.
Devenir un.e allié.e au quotidien
Devenir un.e allié.e, et le vivre ensemble n’implique pas uniquement la bienveillance et le respect d’autrui. Il s’agit aussi de savoir identifier les situations d’agression et d’oppression et apporter une aide lorsque nous sommes témoins, surtout lorsque nous ne sommes pas soumis.es à la nature oppressive de l’agression.
L’effet de témoin peut être surmonté en apprenant des techniques d'intervention qui visent à diffuser au plus vite et efficacement la situation tout en minimisant la mise en danger des personnes. Mais surtout une des techniques permettra d’aider la victime après l’agression.
Qu’est-ce qu’un témoin actif.ve?
Une intervention en tant que témoin actif.ve, ou Active Bystander Intervention est l’intervention d’un.e témoin lors d’une agression ou situation d’oppression. Elle permet d’interrompre l’agression tout en se concentrant sur la victime afin de ne pas intensifier la situation avec l’agresseur.se. L’intervention doit se faire de manière réfléchie mais rapide, et peut impliquer plus d’une personne. Le but est de ne mettre personne en danger immédiat.
La méthode d’intervention: les cinq Ds de Hollaback!
Cette méthode d’intervention de Hollaback! (un mouvement qui a pour but de mettre fin au harcèlement de rue, au travail, et agressions des communautés opprimées) est une méthode qui a été prouvée efficace tout en priorisant la sécurité de tous.tes. Les techniques, dont les mots commencent par D (moyen mnémotechnique), décrites ci-dessous sont listées dans un ordre précis afin de maximiser la sécurité de tous.tes et donc les techniques indirectes sont à prioriser selon la situation.
Les cinq Ds
Distraire (Distract)
But : Détourner l’agression de manière indirecte en donnant une distraction.
Comment : Si vous êtes face à des inconnus, venir demander l’heure ou le chemin à la victime, ou faire semblant de la connaître devant l’agresseur.se, faire un bruit fort, tousser fort etc...
Déléguer (Delegate)
But: Dans le cas où vous n'êtes pas en mesure d’intervenir pour des raisons de sécurité, aller demander de l’aide auprès d’une autre personne.
Comment: chercher de l’aide auprès d’une personne d’autorité dans le lieu où se passe l’agression (ex., le conducteur de bus, un vendeur au supermarché), demander à un autre témoin de l’entourage, demander à votre ami.e de faire la technique de distraction ensemble etc…
Attention : Il n’est pas recommandé d’appeler la police si la situation peut être gérée par des témoins, surtout si la victime ne le demande pas explicitement. Certaines victimes, selon leur positionnement social ne seront pas plus en sécurité, voire mises en danger avec la présence de la police. Toujours demander à la victime si elle veut qu’on appelle la police. Finalement, s’il s'agit d'une agression physique grave, appelez le SAMU.
Documenter (Document)
But: recueillir des preuves de l’agression qui peuvent être utiles pour la victime ultérieurement.
Comment : vérifier que vous pouvez filmer ou prendre une photo d’une agression dans le pays où vous vivez. Quand vous filmez, garder une distance et se concentrer sur la victime de l’agression. Si possible, aussi filmer des alentours avec des signes où l’on peut reconnaître où l’agression se déroule.
Attention: ne pas filmer une agression juste dans le but de la publier dans les médias sociaux, surtout sans le consentement de la victime. Après avoir fait l’enregistrement, allez voir la victime pour savoir si elle a besoin de la vidéo et demandez si elle souhaite la garder privée. Ne jamais publier en ligne une vidéo ou une photo sans le consentement de la victime.
Différer (Delay)
But : diminuer le traumatisme de la victime sur le long terme. Lors d’une agression la victime vit un traumatisme qui a un impact durable. En plus, constater que les personnes témoins de l’agression n’ont pas réagi contribue à l’augmentation et le maintien de ce traumatisme. Il est donc primordial d’aller voir la victime après l’agression pour savoir si elle a besoin d’un soutien.
Comment : demander si la personne a besoin d’avoir quelqu’un à ses côtés en attendant la police, demander si elle a besoin d’un peu d’eau, demander si vous pouvez l’accompagner à leur prochaine destination, demander simplement si la personne va bien.
Intervention directe (Direct)
But : arrêter rapidement l’agression par intervention directe
Comment : aller voir l’agresseur.se et interrompre son action en lui parlant. Interpellez le comportement, restez calme mais ferme. Par exemple : “laissez-le.a tranquille”, “ ce que vous dites est raciste, homophobe, sexiste etc…”. Le but est de stopper l'agression rapidement, sans faire intensifier la situation. Il faut donc rester bref et ne pas rentrer dans une dispute ou un débat. Si la personne répond, continuez par aider la victime et ne pas donner d’attention à l’agresseur.se.
Attention : L’intervention directe devrait se faire seulement si vous ne vous mettez pas en danger en intervenant. Il est donc primordial d’utiliser le bon sens pour établir si vous pouvez intervenir directement. Sinon, utilisez les techniques décrites plus haut.
Points importants à considérer avant de choisir le moyen d’intervention
Votre positionnement social: êtes-vous une femme ou un homme face à un agresseur homme? Etes-vous une personne racisée?
Quel est le positionnement social de la victime? Peut-elle être mise plus en danger face à des policiers? Dans tous les cas, toujours demander à la victime s’il est nécessaire d’appeler la police. Si la victime a besoin d’assistance médicale, appeler le SAMU.
Les différentes techniques peuvent être utilisées simultanément.
Dans tous les cas, si vous n'avez pas pu intervenir pendant l'agression, voir la victime et la soutenir pour diminuer l’effect traumatique dans la durée reste très important.
Finalement, ces techniques d’intervention peuvent être utilisées pour tout type d’agressions, qu’elles soient raciste, sexiste, homophobe, grossophobe, islamophobe, transphobe etc..
Les agressions ne sont pas que physiques, les agressions verbales peuvent avoir un impact tout aussi fort sur une victime. Ces agressions verbales peuvent inclure des insultes ou moqueries. Les agressions et situations d'oppression se passent souvent dans des cercles d’amis et de famille. Dans le cas où l'agresseur.se est une personne proche de vous, la technique d'intervention directe peut se faire, mais il s’agit de garder cette intervention brève.
Pour aller plus loin
Si vous souhaitez participer à un atelier pour apprendre à devenir un témoin actif.ve, les liens vers des ateliers en ligne gratuits (en anglais):
Le site de Hollaback est une bonne source d’information: https://www.ihollaback.org/
TW: Exemple d’une agression avec intervention d’un témoin actif
Dans cette vidéo, un Youtuber qui faisait un livestream aperçoit une attaque contre une personne asiatiquetée. L’homme se rapproche du lieu de l’attaque, se met juste à côté de la victime qui est au sol pour la protéger, et essaie de repousser l’agresseur en criant.
Dans cet exemple, le témoin actif a utilisé trois méthodes: Documenter (le livestream), intervention Directe (il s’est directement adressé à l'agresseur, étant un homme, il a dû évaluer qu’il pouvait le faire sans aide), Différer (il a aidé la victime qui lui demande d’appeler la police).
Cet article a été rédigé suite à la participation à l’atelier proposé par Hollaback! . Le contenu de la méthode provient de la traduction de leur site. N’hésitez pas à vous référer aux sources suivantes:
5Ds et illustrations: https://www.ihollaback.org/bystander-resources/
Effet de témoin: https://www.madmoizelle.com/reagir-temoins-projet-crocodile-255842