Interview Anjali Govindassamy, co-fondatrice et COO de la marque REPEAT

1/ Qui es-tu ? Peux-tu te présenter ?

Je suis Anjali GOVINDASSAMY, j’ai 28 ans, je suis la cofondatrice et COO (Directrice des opérations) de REPEAT, et je suis réunionnaise d’origine indienne et chinoise.

2/  Peux-tu raconter la genèse de Repeat ? 

REPEAT est né d’un besoin d’une liberté individuelle à tous les niveaux : financière, géographique, temporelle, une liberté d’esprit et une liberté de travailler avec et pour ses valeurs, de créer pour un monde meilleur. Ça a l’air naïf, mais c’est vrai.

En 2018, trois jeunes actif.ves diplômés d’écoles de design à Paris, mon copain Florian, son meilleur ami Jonathan et moi-même, débutons en agences de publicité et de communication de luxe, où la légendaire surexploitation des jeunes au travail nous attaque de front. On cherche une porte de sortie, on cherche à contrôler nos vies et à mettre notre travail au service d’une cause qui en vaut vraiment la peine.

Anjali Govindassamy, Florian Frier, Jonathan Haddad

En 2019, je tombe par hasard sur une pub de culottes menstruelles, et je vis un ascenseur émotionnel : je découvre un produit tout simplement parfait pour mon usage, il est écologique, économique, pratique et sain pour le corps et la planète… mais il coûte 45€ l’unité.

C’est un scandale pour moi, avec mon mini salaire je ne pourrai jamais me l’offrir. Florian qui m’écoute a une vision, et me dit : “Voilà ce qu’on va faire, une culotte menstruelle de très bonne qualité, mais accessible à toustes”.

3 ans plus tard, REPEAT a changé la vie menstruée de plus de 200 000 personnes, et d’un même élan, la nôtre également.

3/ Comment se traduit l'inclusivité au sein de REPEAT ?

L’inclusivité chez REPEAT est le point de départ de la marque, puisque c’est l’histoire de trois jeunes de moins de 25 ans, racisé.e.s, féministes, de trois origines multiples différentes, de trois milieux socioculturels différents et de trois religions différentes, qui s’associent pour donner accès aux personnes menstruées non privilégiées les protections menstruelles qu’elle méritent, quels que soient leurs classes sociales, leurs moyens financiers, leurs origines, leurs morphologies, leurs âges et leurs genres.

Nous sommes aujourd’hui une quinzaine dans l’équipe REPEAT, dont 10 personnes de couleur, comprenant des personnes LGBTQIA+ dont 3 hommes cis, 11 femmes cis et une personne non-binaire, et des nationalités variées.

Nous avions besoin de créer un monde où nous aurions nous-même notre place.

Notre équipe incarne nos valeurs qui sont avant tout intimes et représentatives de nos combats personnels, on ne pouvait faire autrement.

4/ Qu'as-tu ressenti en étant nommée dans la liste Forbes 30 under 30 Europe 2023 ?

Honnêtement… je n’ai pas réussi à ressentir quelque chose sur le moment, car je n’y croyais pas.

Marian Wright Edelman a dit “You can’t be what you can’t see”, alors difficile pour la jeune réunionnaise de couleur de réaliser ce qu’il se passe, et de littéralement percuter qu’elle a été reconnue par la nomination Forbes 30 Under 30 Europe 2023.

Cela reste virtuel pour moi, une chose qui est dite sur internet mais qui n’existe pas dans la réalité. Mais alors que je commence à y croire, que naît un timide sentiment d’accomplissement et de fierté, de bonheur de pouvoir représenter mon île et de reconnaître mon travail accompli, on me confond avec une autre personne de la même origine que moi. 

5/ A ce sujet, hormis la fatigue pesante… qu’en as-tu pensé ? 

C’était la cerise sur le gâteau du syndrome de l’imposteur.

“Évidemment qu’ils se trompent de personne pour me représenter, “c’est déjà une blague que je sois là” ai-je tout de suite pensé. Cela veut dire deux choses : que je m’y attendais, et que j’y suis habituée.

Seules 8 femmes françaises sont nominées cette année, et je suis la seule racisée. Pourquoi prendre ma photo sur LinkedIn quand on peut la chercher dans les pages produits de notre site, car je dois sûrement poser pour ma marque vu que je vends des culottes et que je suis une femme ?

Gurleen, la personne sud-asiatique avec laquelle on m’a “confondue”, avait justement été sélectionnée par mes soins pour être une des représentantes de la collection antiraciste REPEAT Skins, car je voulais représenter différentes personnes sud-asiatiques pour incarner notre diversité et enfin montrer nos visages. Ironique n’est-ce pas ? Voilà pourquoi j’ai rigolé nerveusement en voyant sa photo au-dessus de mon nom dans l’article dédié à Forbes.

6/ As-tu des inspirations dans ton processus créatif ?

C’est assez dur de trouver un.e modèle à qui je peux m’identifier et me projeter, sur le plan culturel, physique, professionnel, artistique et militant en même temps. Alors, je mélange mes héros.ines :

Shonda Rhimes pour la narration militante,

Virgil Abloh pour la culture populaire dans la création,

Emily Weiss pour sa vision du produit et du design,

Botter dans l’ôde à la protection des îles,

Marine Serre pour la production engagée et repensée,

Jacquemus pour la figure de l’enfant omniprésent dans la création,

Krishna Nikhil de Pangaia pour la représentation d’un CEO à impact positif et sud-asiatique,

Amina Muaddi pour une jeune femme de couleur entrepreneuse et créatrice..

et Léna Mahfouf pour avoir brisé tous les plafonds de verre sur le chemin de la réalisation des rêves personnels à échelle française.

7/ As-tu des conseils pour les femmes et minorités de genre sud asiatiques qui souhaitent se lancer ?

Ne pas avoir de role model qui coche toutes les cases d’identification, de valeurs et d’accomplissement n’est en réalité… pas si étonnant dans cette société. Tout ceci est nouveau, la nécessité de la correction et de la réparation dans la représentation, les nouvelles technologies et réseaux sociaux au service de la convergence des luttes qui réunissent des millions de personnes du monde entier d’un simple clic est sans précédent. C’est pas si mal dans un sens, que nous manquons jusque-là de bonne représentation, car c’est peut-être à nous d’en devenir.

Soyons les inspirations que les “nous de 10 ans” auraient dû voir, pour que les jeunes générations d’aujourd’hui s’autorisent à rêver très grand le plus tôt possible. Tu es à 100% légitime d’utiliser ta voix et de créer ton impact, tu as raison de lancer tes projets et d’y croire plus que tout le monde. Tu as une communauté entière derrière toi, on est déjà fièr.e de toi.

8/ Est-ce que tes multiples origines et cultures ont influencé tes choix de carrières professionnelles ?

Si oui comment ?

La quête d’identité et de représentation ont animé toute ma carrière professionnelle jusqu’ici, et la majorité de mes combats personnels également.

L’image de la femme me passionne depuis l’enfance. Ayant grandi à La Réunion, où la diversité des profils, des origines, des métissages et des cultures est inouïe, j’ai été bercée, voire perdue, dans une multitude d’identités. Entre les origines indiennes, chinoises, africaines sub-sahariennes, créoles et tahitiennes dans ma famille proche, entre l'Hindouisme à la maison et le Catholicisme à l’école, entre la culture créole et française, entre le style féminin et le garçon manqué, entre le hip hop et les danses traditionnelles, entre le rêve américain et la kaz créole, qui suis-je et à quoi je ressemble ?

Pour compenser ma difficulté à composer avec mon image, physique et identitaire, j’ai tout simplement voulu m’occuper de celle des autres.

J’ai commencé par le vêtement, puis le magazine de mode, puis la photo de mode, puis l’industrie du mannequinat, puis l’image de mode en direction artistique, tout ce qui incarne la représentation de la femme dans le champ de la création.

REPEAT est le vaisseau qui me permet de brandir les drapeaux de tous mes combats : le féminisme, l’écologie, la décolonisation, l’antiracisme, le combat LBTQIA+, la santé mentale etc. Les règles sont un sujet parfait pour aborder et agir sur ces causes, et notamment la question de la représentation des personnes menstruées, aussi bien du côté du genre que de la morphologie, de l’âge, du milieu social, de la couleur de peau, de la différence physique et de la situation d’handicap.

REPEAT ne va cesser d’essayer de représenter le maximum de personnes menstruées différentes, quoi qu’il arrive.

9/ Quelle est la suite pour ta marque et pour toi?

On rêve que REPEAT devienne un leader européen en matière de règles, voire mondial, qui sait ?

On rêve qu'assimiler les règles à une semaine qu’on néglige et pendant laquelle on se néglige, et à cause de laquelle on souffre tous les mois sous couvert de gêne, de douleurs et de tabou, relève de la préhistoire au plus vite.

On souhaite que les personnes menstruées s’approprient leurs règles et en fassent leur pouvoir, allègent leurs contraintes et rigolent de leurs hauts et de leurs bas.

On aimerait que la prévention et le traitement des questions de santé menstruelle portent leurs fruits, et que les problèmes gynécologiques trouvent des remèdes aussi sains qu'efficaces.

La suite pour moi, c’est de veiller à ce que REPEAT grandisse aussi bien que sa communauté, et de continuer mon chemin sur la réparation de l’image des personnes racisées, en me réparant moi aussi. Cette semaine, j’ai fait entrer Ashmitha en agence de mannequin, l’autre magnifique jeune fille sud-asiatique que j’avais repéré et shooté pour la collection REPEAT Skins avec Gurleen, et le fait de l’aider à réaliser son rêve de devenir mannequin m’a aidé moi aussi car, quelque part, la petite Anjali du collège, en faisant ça, s’est trouvée jolie.

Slash Asian