[Portrait] Interview avec Saja Sathiya, artiste peintre.
Pour commencer, est-ce que tu pourrais te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Saja Sathiya, c’est mon nom d’artiste. J’aurai 27 ans cette année. En ce qui concerne mon parcours scolaire, j’ai commencé par un bac STMG, option ressource humaine, je ne savais pas où me diriger et par sécurité et facilité, je me suis dirigée vers un DUT gestion des entreprises et des administrations, option ressource humaine.
Pendant tout le long de mon DUT, je me suis rendu compte que ce n’était pas du tout mon domaine. Ça ne me plaisait pas du tout et ça s’est confirmé durant mon stage de fin d’année en tant qu’assistante RH où je me réveillais en pleurant quasiment chaque matin, rien ne me plaisait dans ce métier. J’ai quand même décidé de terminer mon DUT.
Puis, je me suis orientée vers une mise à niveau en arts appliqués, ce n’est pas une année diplômante, c’est surtout une formation. C’est une année créative où l’on apprend à manier différents supports et à penser créatif en donnant vie à la matière. Nous faisions à la fois du digital, des travaux manuels comme la couture et des dessins etc. Ce fut ma meilleure année scolaire, j’ai kiffé ! C’est de là que j’ai vraiment commencé à dessiner et à peindre, avant ça, c’était vraiment quand j’étais petite, je reproduisais les dessins de manga comme tout le monde ! J’avais arrêté pendant le lycée et le DUT. En 2016, j’ai commencé la peinture, avant ça, c’étaient surtout les crayons/ crayons de couleurs. C’est grâce à un ami que j’ai repris le dessin et il m’a motivé à continuer.
Qu’est ce qui caractérise ton expression artistique ?
Déjà, je n’arrive pas à faire autre chose que peindre des femmes. Je suis passionnée et je suis inspirée que par les femmes, du moins quand je fais mes œuvres personnelles. La plupart du temps, mon inspiration vient d’Instagram, je défile jusqu’à tomber amoureuse d’une photo. Si une photo me plaît, je me dis que je vais m’en inspirer ! Mon but ce n’est pas l’hyperréalisme, mais de donner vie à mon style. Je ne l’ai pas encore trouvé, je le recherche encore et je commence progressivement à l’avoir. Je veux que la personne que je dessine puisse se reconnaitre, mais ce n’est pas mon but principal. Je m’inspire de l’image et j’en fait mon œuvre.
Je n’ai pas de technique préférée, vous pouvez voir que pour cette exposition, j’utilise de la peinture acrylique, de la bombe et de l’aquarelle. Je suis encore en pleine expérimentation, je teste tout et je ne veux pas me limiter à une toile. J’aime beaucoup travailler sur des toiles brutes qui ne sont pas toutes propres et bien encadrées, j’aime beaucoup faire des fresques murales, j’aime faire du recyclé ! J’aime reprendre les éléments et leur redonner vie !
Est-ce-que tu considères ton art comme un moyen d’exprimer tes engagements en visibilisant le corps des femmes ?
Je pense que c’est de manière inconsciente que s’exprime mon engagement pour le moment, je n’ai pas de parti pris mais je vais y tendre au fur et à mesure que je vais trouver mon style. J’ai grandi en recevant beaucoup de critiques et quand je prends du recul, je vois beaucoup de similarités avec moi-même. Je ne sais pas si c’est une manière de dire que j’aime la personne que je suis maintenant, physiquement comme mentalement.
J’ai l’impression de dessiner des femmes qui me ressemblent, en tout cas au début, c’étaient souvent des femmes fines et des femmes claires de peau, sans pour autant dire que c’est le standard de beauté, mais maintenant, je tends vers plus de diversité. Ma toile préférée, c’est le portait d’une femme indienne avec la peau foncée. Je vois mon évolution.
Tu pourrais nous parler de cette œuvre ?
(“INAIYA”, fusion entre le fond et la forme. Acrylique sur toile brut. Modèle: @archanaakilkumar. 52x56. 2021. Artiste: @saja.sathiya)
Cette toile est inspirée d’un modèle d’une femme indienne, j’ai adoré la photo ! Cette toile est particulière, car c’est un triptyque, c’est une composition qui se complète avec d’autres toiles. C’est une fusion entre le fond et la forme. J’ai trouvé cette toile avec un fond déjà présent, le bleu, que j’ai trouvé intéressant et que je voulais réutiliser. J’ai commencé à peindre son visage et quand j’ai entamé les yeux, je me suis dit qu’on pouvait les faire fondre avec le fond bleu. Je ne voulais pas qu’on croit que je tente d’européennisé le modèle de la femme indienne, mon but, c’était vraiment de tendre vers une fusion avec le fond pour en faire une belle composition. C’est une toile faite que d’acrylique. Puis cette toile est importante pour moi, elle m’inspire énormément pour mes prochaines compositions. En ce moment, je travaille sur une toile que je vais présenter à la fin de l’exposition où j’utilise une palette de teinte et de structures variées.
Peut-on considérer ton expression artistique comme un moyen de revendiquer tes origines ?
Oui clairement ! J’ai essayé de peindre des personnes autres que sud-asiatiques, mais je n’ai pas cette même passion et amour que quand je peins des femmes sud-asiatiques. Moi, je porte le pottu/bindi, j’ai commencé à le porter au lycée et j’ai été beaucoup critiquée, énormément par des gens de ma communauté, on me disait que je faisais « très blédard ».
Je n’ai pas grandi en étant entouré d’une communauté sud asiatique, je n’ai pas vécu proche de ma famille, je n’ai pas vraiment participé à des associations tamoules, j’habitais dans une ville lointaine et c’était pour moi une manière de me rattacher à ma culture, notamment à travers les films et les chansons. Je voulais aussi me l’approprier à ma manière et en faire mon propre monde grâce au pottu/bindi, je le porte fièrement, raison de plus qui explique pourquoi je le peins sur le visage des femmes et je suis fière de le représenter. C’est attristant, pourquoi critiquer quelqu’un qui essaye de porter sa culture avec beaucoup de fierté, je vais continuer à le faire et ça me tient à cœur.
Quel est l’objet de cette exposition ?
Il y a mon co-artiste, Genath (@genath6) , c’est un chellois (ville de Chelles), il est tombé sur cette galerie et il s’est informé auprès de la mairie. C’est à disposition pour les artistes et on a entamé les démarches pour y disposer notre art. Il est venu vers moi en me présentant son projet pour faire cohabiter nos deux mondes et j’ai accepté ! On a fait notre dossier, qui a été accepté et ce n’était pas si compliqué que ça, donc toute personne qui est de Chelles et qui veut entreprendre et exposer ses œuvres, devrait tenter ! C’est une très belle manière de le faire, je suis très reconnaissante envers la ville de Chelles, je trouve ça fou d’avoir ce lieu pour exposer ce qu’on fait et d’avoir la gratification de personnes qui nous disent que c’est bien ce que l’on fait !
« Entre ciel et mères » c’est la cohabitation de deux mondes, c’est la photographie des voyages de Genath à travers 4 régions (Europe, Moyen-Orient, Asie du Sud et de l’Est). Sur le mur principal, on peut voir le portrait de quatre femmes issues de ces régions afin de faire écho aux deux mondes. Les photos de Genath représentent le ciel, l’environnement et des paysages et le terme « mères» se rapproche de mon travail qui s’inspire des femmes.
Qu’est-ce que représente, pour toi, cette première exposition en tant que jeune artiste ?
C’est fou ! Je n’arrive pas à y croire ! Ça me permet de montrer au grand public et pas qu’à la famille et les amis, j’ai tout de même beaucoup de soutien sur Instagram, mais là, ce n’est pas forcément un public tamoul. Ce sont des personnes de toutes origines à qui mes œuvres plaisent et ça me motive à continuer ! Ils sont prêts à acheter des œuvres qui pour moi sont très personnelles. Mon but, c’est qu’ils les achètent pour décorer leurs propres espaces, en se l’appropriant et en appréhendant mon art et mon univers. C’est un pas pour moi en tant qu’artiste, c’est boostant !
Est-ce que tu aurais des conseils à donner à des personnes qui n’osent pas se lancer vers une vocation artistique ?
On a souvent le talent et la volonté de peindre, mais je ne sais pas si c’est dans notre culture ou notre éducation, mais quand j’étais petite, je ne savais pas qu’on pouvait en faire un métier. Nos parents nous dirigent automatiquement vers la sécurité, un diplôme et un salaire, sans trop d’effort physique, c’est-à-dire travailler dans un bureau. Mes parents, ils ont fait tellement d’efforts qu’ils veulent du confort pour nous.
On n’ose pas être artiste, ça reste qu’une option, pourquoi passer autant de temps sur quelque chose qui ne me rapporte pas d’argent ? Mais il faut essayer, oser, voir et expérimenter ! Il faut faire quelque chose qui t’inspire et qui te donne de la joie. Si tu vois que personnellement, tu as du potentiel, lance-toi ! On s’en fou de l’avis des gens, bien sûr qu’on aime la validation des autres personnes, mais si tu penses que ce que tu fais possède du sens et que ça t’apporte quelque chose, il faut oser et ne pas se restreindre.
J’ai eu l’opportunité de faire ma première fresque murale par le biais d’un ami, j’ai été payée en plus, c’était énorme d’être rémunéré pour peindre ! J’ai de la chance d’avoir des amis créatifs, pas forcément en lien avec le dessin, mais on se rapproche dans nos manières de penser et de faire. S’allier avec des personnes qui ont l’envie d’entreprendre, ça motive aussi !
Interview réalisée par Cyntiga.