"Never Have I Ever" (2020) ou le début d'une réelle représentation des minorités

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Never Have I Ever ou Mes Premières Fois (2020) est une série américaine créée par l’actrice réalisatrice indo-américaine Mindy Kaling (The Office, The Mindy Project, Champions, Quatre mariages et un enterrement) et la scénariste Lang Fischer (Honestly, Never Have I Ever) pour Universal Studio et Netflix. Les 10 épisodes de la première saison suivent la quête de popularité de Devi Vishwakumar (Maitreyi Ramakrishnan), une jolie lycéenne indo-américaine, intelligente et sûre d’elle. Les différents rebondissements de situation sont commentés par la voix off de John McEnroe, célèbre tennisman américain et joueur préféré du père de Devi.

 Suite à une année particulièrement traumatisante (la mort brutale de son père, emporté par une crise cardiaque lors d’un récital donné au lycée, la somatisation qui entraîne chez Devi une paralysie momentanée des jambes, l’obligeant à se déplacer en chaise roulante), Devi prend de grandes résolutions pour son entrée en classe de seconde : être invitée à une fête où il y a de l’alcool (et si possible de la drogue, pour pouvoir la refuser avec panache, se débarrasser par enchantement de ses poils sur les bras et surtout, se trouver un petit ami afin d’accéder à la popularité.

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Elle jette son dévolu sur le beau Paxton Hall-Yoshida Paxton Hall-Yoshida (Darren Barnet), jeune sportif nippo-américain (son métissage est d’ailleurs brièvement abordé dans un épisode) de l’équipe de natation et coqueluche du lycée Sherman Oaks (Californie). Après avoir miraculeusement retrouvé l’usage de ses jambes (grâce à Paxton, notamment), Devi semble plus déterminée que jamais à se débarrasser de sa réputation plutôt gênante (« l’indienne paralysée dont le père est mort à un concert du lycée ») et fomente un plan à première vue infaillible : elle convainc ses meilleures amies Eleanor Wong (Ramona Young) et Fabiola Torres (Lee Rodriguez), respectivement membres éminents des clubs de robotique et de théâtre, de se dénicher également un petit ami pour s’affirmer en tant que « femmes racisées et sexy ».

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Sa quête de reconnaissance est compliquée par la rivalité entretenue par Devi avec Ben Gross, l’autre intello du lycée et fils d’un avocat renommé et influent. Le jeune homme – dépassant sa souffrance due à l’absence parentale en se défoulant sur Devi – n’hésite d’ailleurs pas à rappeler les échecs de sa concurrente, allant même jusqu’à la tourner en ‘’dérision’’ avec ses amies : il surnomme Devi, Eleanor et Fabiola les GNB (« Gourdasses Non Blanches »). De plus, la cohabitation avec sa cousine, la belle Kamala (Richa Moorjani) fraîchement débarquée d’Inde pour terminer son doctorat en biologie sur le campus renommé de CalTech, n’arrange pas les nombreux complexes de Devi qui se morfond dans sa jalousie.

Malgré une véritable crise identitaire due à plusieurs facteurs (la double culture, le deuil, le besoin de validation par ses pairs, la rivalité avec sa cousine parfaite à tous les égards), Devi parvient finalement à ses fins : les conflits amicaux entre Devi et ses amies se résolvent grâce à la grande compréhensivité de ces dernières (et la révélation de l’homosexualité de Fabiola, révélation consolidant encore les liens unissant le trio), Paxton accepte dans un premier temps de voir Devi dans une relation de sex friends avant de s’attacher à la jeune femme qui se révèle maladroite mais touchante, Ben déclare finalement sa flamme à Devi, concluant la première saison sur un cliff-hanger insoutenable (j’exagère à peine) et annonçant un futur triangle amoureux.

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Série good mood optimiste et drôle, l’écriture est largement inspirée des expériences personnelles de Mindy Kaling, soucieuse d’œuvrer en faveur d’une plus grande diversité de représentation. Le fait que le personnage principal soit d’origine indienne permet d’explorer certaines thématiques trop superficiellement évoquées, une trajectoire singulière et spécifique mais à laquelle chacun.e peut d’identifier d’une certaine façon. Comme l’évoque le titre – une signification confirmée par la traduction française – la série propose un parcours initiatique, une série d’apprentissages où l’adolescence est le lieu d’une douleur innommable du manque causé par la perte d’un être cher autant que des premiers émois amoureux.

 A l’heure de la mondialisation et de rapports internationaux basés sur le profit, Devi expérimente les bons comme les mauvais côtés de ‘’l’immigration économique’’ : le racisme – les parents de Devi, les docteurs Nalini (Poorna Jagannathan) et Mohan Vishwakumar (Sendhil Ramamurthy) emménagent en Californie dès 2001, « pas une bonne période pour les personnes de couleur » – dont les stéréotypes affiliés aux personnes hindoues découlent tristement, la crise identitaire puisque les mœurs indiennes familiales semblent incompatibles avec les aspirations de Devi ou de Kamala (engagée dans un mariage arrangé alors qu’elle sort avec un de ses camarades), la définition de sa valeur en fonction du regard des autres (une quête plutôt vaine que la thérapeute du lycée décourage vivement), la concurrence – avec ses amies, avec Ben – nocive jusqu’à devenir toxique, le deuil et la perte, le développement de sa sexualité.

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Les origines indiennes de Devi, loin d’être anecdotiques puisque le choc culturel reste l’un des ressorts comiques majeurs, ne suffisent cependant pas à caractériser la jeune femme. Au-delà de son adaptation aux mœurs euro-américaines, la jeune femme aborde très naturellement des sujets considérés comme tabous dans la représentation classique de communautés minoritaires : la sexualité, les relations interraciales, la consommation d’alcool et d’autres substances illicites. Paxton est, quant à lui, constamment valorisé en tant que love interest, une représentation innovante et bienvenue des hommes asiatiques trop longtemps considérés comme dévirilisés ou ridicules, donc peu dignes d’intérêt. Dans cette mesure, la grande diversité ethnique du casting participe à une représentation diverse, dé-stéréotypée donc plus réaliste.

Outrepassant rapidement leurs clichés caractéristiques, les personnages s’affirment rapidement comme des êtres complexes et sincère: le personnage principal est maladroite et capricieuse voire arrogante en raison d’un manque d’assurance peu assumé, Nalini essaie tant bien que mal de conserver l’ordre sous son toit en invoquant la tradition tout en appréhendant douloureusement son récent veuvage, Devi et ses amies sont considérées comme des nerds mais demeurent désirées et libres de leur sexualité, la petite sœur adoptive de Paxton est atteinte de trisomie 21 (son amour de la mode et son franc-parler sont d’ailleurs assez rafraîchissants), ce qui explique l’aversion de ce dernier pour le rejet des personnes ‘’différentes’’ dans une société raciste et validiste.

 « Never Have I Ever est la comédie ado feel good dont on avait besoin » (Konbini Biinge)

Le succès public et critique de la série dès sa sortie lors du premier confinement – comparable à la touchante saga To All the Boys / À tous les garçons que j'ai aimés (2018) adaptée d’après les romans de Jenny Han met en scène Lara Jean (Lana Condor), une adolescente américano-coréenne – confirme l’envie du public d’une représentation des minorités variée et réaliste, d’une véritable inclusivité en accord avec l’évolution de la société et des mœurs. Le choix de Maitreyi Ramakrishnan, une Canadienne d’origine sri-lankaise tamoule, dans le rôle-titre reflète la volonté d’inclure les minorités asiatiques dans la représentation de leurs communautés. Les personnages racisés occupent ici le premier plan pour s’affirmer en tant qu’individus modernes, décomplexés, attirants. Netflix renouvelle la série pour une deuxième saison dès le 1er juillet 2020, une information confirmée par le magazine spécialisé Première en Novembre 2020.

Salomé et Sabrina

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